mardi 9 août 2016

Témoignage : presque une année à enseigner le français en Ontario

Ceci est un article écrit tout en humilité. Je ne prétends pas être un professeur expérimenté, ni servir d'exemple. Il ne s'agit que d'un témoignage parmi d'autres, un vécu, une expérience. 
Cet article n'est donc pas exhaustif mais il résume bien ma première année à enseigner le français en Ontario. Et je me suis dit que c'était toujours bon de partager :)





Récemment, j'ai été contactée par une expat qui souhaiterais venir au Canada pour y enseigner le français. Elle m'a demandée des conseils et un partage de ma toute récente expérience

Voici ce que je lui ai répondu.

Tout d'abord, il faut savoir que je n’ai pas du tout un parcours classique dans l’enseignement du français. Je n’ai pas de diplôme en FLE et je ne travaille pas pour l’Alliance Française. 
J’ai trouvé ce travail suite à une opportunité et quelques rencontres, puis j’ai été formée sur le tas. J'ai été recrutée grâce à mon expérience de travail en équipe, mes compétences en français, et surtout ma personnalité. Ils recherchaient une personne empathique, patiente et ouverte d'esprit. (voilà pour le lançage de fleurs)
C’est aussi beaucoup de feeling ce job, d’autant que dans ma région, hors de Toronto, il n’est pas facile de trouver du personnel francophone qualifié, pour ne pas dire impossible.

Je travaille dans un Collège, ici c’est un établissement post-secondaire, pas comme en France, qui est spécialisé en Formation Continue, donc seulement pour les adultes. J’ai deux contrats concernant l’enseignement du français. 




Un en FSL, ici on dit Français Seconde Langue, car c’est une des deux langues officielles: je donne 3 cours de 3h par semaine. Il s’agit de sessions de 15 semaines avec un battement de 2 ou 3 semaines entre chacune.

L'autre en Alphabétisation et Formation de Base (AFB, programme du gouvernement de l'Ontario), pour lequel j’enseigne le français, les maths et l’informatique type Pack Office. Il s’agit de promouvoir la francophonie en aidant les personnes déjà francophones, en général issues de communautés du nord de l’Ontario, à améliorer leur français et leurs compétences dans le but de trouver un emploi ou de retourner aux études. Pour ce contrat, je travaille 13h par semaine, officiellement, car en réalité, mes journées sont bien plus longues.

Je travaille aussi pour un 3ème contrat, qui n’est pas relié à l’enseignement du français. J’aide des jeunes francophones, entre 15 et 18 ans, à monter leur entreprise d’été via un autre programme du gouvernement. Ce contrat est de 10h au même salaire que le précédent, il est temporaire (mai-septembre).
Avec tous ces jobs, je travaille environ 33/35h sur 3 jours et demi. C’est fatiguant pendant trois jours, mais ça me laisse de longs weekends pour gérer la maison et mes loisirs. Je travaille toute l’année, contrairement à un établissement scolaire classique. Pas de vacances scolaires, ni d'été au calme, le Collège est ouvert en continu.
En gros, je gagne entre 1800$ et 2000$ brut par mois, ce qui représente l'équivalent d'un Smic français. Ici, nous sommes payés toutes les deux semaines et les impôts sont prélevés à la source. Ce salaire est assez bas, comme beaucoup dans la profession. Disons que, si je voulais vivre seule et confortablement, il faudrait que je trouve un autre emploi, à temps partiel, pour gagner au mois 1000$ de plus. Ceci concerne Barrie et sa région, je viserais bien plus si j'étais à Toronto même ou proche banlieue.

Ici, les congés officiels sont de 2 semaines par an. Les emplois précaires, comme le mien, n’ont pas le droit à des congés payés, car c’est considéré comme du temps partiel. En résumé, si je veux des congés, je dois prendre du sans solde. Cela permet de la flexibilité, mais en en attendant, pas de rentrée d'argent.

Il y a un gros besoin de professeurs qualifiés dans ma région, mais les établissements et entreprises ne sont pas prêts à faire venir des français ou européens francophones pour ça. Le plus « dur » est en fait d’obtenir un visa pour le Canada. 
Un PVT ou Permis de Travail, selon les cas, font l'affaire. Les Alliances Françaises regorgent de demandes, donc il y a beaucoup de compétition. La plus proche de chez moi est à Toronto, mais comme c’est à 100km, je n’y ai jamais songé !



D’après ce que j’ai entendu, il y aurait plus de chances d’obtenir du travail dans les provinces plus centrales type Alberta, Manitoba ou Saskatchewan. Les universités et collèges recrutent pas mal, ainsi que les Alliances Françaises ou autres établissements privés. Pour un aperçu, le site Indeed est pas mal utilisé ici aussi, donc je vous conseille de regarder les offres dans ces provinces. 

La francophonie est de plus en plus cruciale dans la vie des canadiens, je pense qu’il y aura toujours de l’emploi, avec une offre grandissante. Toujours faut-il obtenir le sésame pour avoir le droit de travailler mais après ça, je dirais que les portes sont plutôt ouvertes. J’ai eu la chance de ne pas avoir ce problème car je suis conjointe accompagnatrice, mais j'ai tout à fait conscience des difficultés que peuvent rencontrer les enseignants FLE/FSL.

Autre point, pour enseigner le français au Canada, il est important d’apprendre et donc d'enseigner LEUR français, qui diffère beaucoup du nôtre, non pas dans la grammaire, mais dans le vocabulaire et les expressions. Le québécois est différent du franco-ontarien, qui lui même sera différent du français du Nouveau-Brunswick ou de Terre-Neuve, etc. Les français de France sont souvent vus comme arrogants et « know it all ». Ce qui se vérifie malheureusement assez souvent. Alors, je fais toujours en sorte de leur apprendre les deux versions, quand il y en a, la « canadienne » et la française. C'est souvent très drôle et ils apprécient le geste. De plus culturellement, c'est vraiment enrichissant, tant pour eux que pour moi. Je vous conseille le Parler Québécois pour les Nuls ;)


Est-ce que je veux obtenir un diplôme en la matière ? 

Est-ce que je veux enseigner le français après le Canada ?


J'y ai pensé, je me suis renseignée, j'ai lu beaucoup de choses. Mais la réponse est clairement non. Aux deux questions, et pour plusieurs raisons d'ailleurs. Malgré tout ce que j'ai pu apprendre en 10 mois à ce poste, malgré les rires, les "merci", les partages, les découvertes, les collègues adorables, je ne veux pas en faire une carrière. J'en serais pourtant capable, et en dépit du fait que j'aime ce que je fais aujourd'hui, je ne me vois pas sur cette voie pendant plusieurs années.
Enseigner à des adultes, je n'ai pas d'expérience avec les enfants, nous met beaucoup face au jugement des autres, en représentation constante. Ce qui est épuisant et qui peut vite faire flancher une maigre confiance en soi. Vous me direz qu'avec une formation adéquate, le problème ne se poserait peut-être pas. Certes, et j'ai beau aimer travailler au contact des gens et partager mes connaissances, je pense simplement que ce métier n'est pas fait pour moi. J'ai eu la chance d'enseigner principalement à des personnes adorables, très contentes de mon travail, et qui demandent même à continuer avec moi à chaque session. Il y a même des étudiants qui m'envoient des courriels, des messages Facebook pour me remercier ou m'inviter à des barbecue, et même une de mes élèves journaliste qui a écrit à mon sujet sur le blog de la ville. Mais il y a toujours ces personnes "assistées", les jamais contentes ou celles ayant une vie difficile, qui relève plus du social que de l'enseignement. Puis, on ne peut pas plaire à tout le monde, n'est-ce pas ! Il y a même un élève (enseignant lui-même) qui m'a dit que le français de France n'était pas le bon français et qu'il aurait préféré avoir un prof Ontarien ou Québécois. Comment vous dire...

Ceci étant, je ne suis pas au bout de mes ressources. En effet, ce travail n'est qu'une étape pour moi, et je compte bien mettre à profit cette expérience pour me diriger, petit à petit, vers un projet qui me corresponde, et surtout, qui me plaise vraiment... A suivre :)

1 commentaire:

  1. C'est un retour trés intéressant! Tu en a appris des choses en 10 mois à peine. Je suis toujours admiratrice des gens qui savent enseigner.
    La fin sonne comme si tu avais des idées pour la suite... hate de voir ce qu'il va se passer!

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